ÉTUDE : Les utilisateurs de cigarette électronique décryptés par le LRSH.

ÉTUDE : Les utilisateurs de cigarette électronique décryptés par le LRSH.

Le Laboratoire de Recherche en Sciences Humaines (LRSH) a publié récemment une étude qualitative des modes de vapotage riche d’observations et méritant une lecture attentive. Le rapport complet est téléchargeable à cette adresse.

Objectifs de l’étude

L’étude s’est déroulée de novembre 2014 à janvier 2016. Les objectifs étaient les suivants :

  1. obtenir des premiers éléments descriptifs des pratiques, usages et représentations des utilisateurs de cigarettes électroniques ;
  2. éclairer davantage les quelques données statistiques aujourd’hui disponibles ;
  3. documenter un phénomène en expansion ayant un impact sur la santé publique ;
  4. mettre ces éléments de compréhension à disposition des décideurs, des usagers eux-mêmes et des professionnels de la réduction des risques (les tabacologues notamment).

Qu’ont à dire les utilisateurs qui ne s’expriment pas nécessairement sur le web ? Quelle place prend ce dispositif dans leur vie quotidienne ? En quoi cet usage modifie-t-il leur rapport au tabac ? Et plus largement à la dépendance ?

Échantillon

Vingt-cinq entretiens ont été réalisés, dont un entretien avec des professionnels rencontrés lors du salon Vapexpo en septembre 2014 ; parmi les 24 utilisateurs interviewés on compte neuf femmes et 15 hommes, âgés de 16 à 56 ans représentant une variété de profils, de motivations et de trajectoires.

Une attention particulière a été accordée aux jeunes utilisateurs (neuf personnes interrogées ont entre 16 et 26 ans).

Contexte en 2016

La cigarette électronique n’est pas un épiphénomène

Même si l’engouement remarqué en 2012-2013 s’est ralenti, la cigarette électronique fait aujourd’hui partie du paysage des fumeurs qui cherchent une alternative au tabac et à l’abstinence. Elle ne semble pas en train de disparaître et les tabacologues observent la place grandissante occupée par cet objet dans leurs consultations.

Un sujet complexe, une controverse sociotechnique

La connaissance scientifique sur les effets de la cigarette électronique, utilisée depuis moins de 10 ans, n’est pas encore stabilisée. De nombreuses études sont régulièrement publiées, présentant des résultats souvent contradictoires et sur lesquels on ne peut s’appuyer : soit qu’on ne puisse pas les comparer entre eux (du fait des méthodes employées ou des terrains de recherche, le rapport au tabac étant très différent selon les pays), soit que l’on soupçonne de forts conflits d’intérêt, soit encore que les méthodes employées fassent l’objet de critiques telles qu’elles en invalident les résultats.

Notre étude a lieu au moment de cette période « floue » où l’on s’interroge encore sur l’innocuité du dispositif, sur son efficacité en tant qu’outil de sevrage du tabac et où les logiques de chacun des acteurs s’affrontent régulièrement par voie de presse ou de manifestations : pouvoirs publics, buralistes, pharmaciens, associations d’utilisateurs, cigarettiers, tabacologues, entreprises privées tirant des bénéfices de ce phénomène, chacun tente de créditer ou de discréditer la cigarette électronique. Ainsi ce sujet répond-il à tous les critères de définition d’une controverse sociotechnique. Souvent les controverses se transforment au cours du temps. Presque toujours, le contenu de la controverse change, s’amplifie, s’atténue, devient public, redevient spécialisé, tombe dans l’oubli, se métamorphose en tout autre chose ou même, se trouve clos par une expérience décisive. C’est à ces transformations que nous assisterons dans les mois ou années à venir.

La cigarette électronique n’est pas un objet nouveau, elle s’inscrit dans l’histoire déjà longue de la recherche d’alternative à la combustion du tabac

L’invention de la cigarette électronique est communément attribuée au chinois Hon Lik en 2002-2003. La première version de la cigarette électronique est introduite en Europe et aux États-Unis en 2006-2007. Cependant les premiers dispositifs d’inhalation du tabac/de la nicotine par vaporisation remontent à 1927. La nouveauté ne réside pas dans l’objet lui-même mais bien dans l’engouement qu’il suscite chez une part importante des fumeurs souhaitant rompre avec le tabac. Ce phénomène s’observe dans plusieurs pays du monde.

Soulignons que la cigarette électronique s’inscrit dans une double histoire :

  1. L’évolution de notre rapport au tabac et sa progressive « dénormalisation ». La dangerosité du tabac est désormais fortement ancrée au sein de la population française et s’accompagne, y compris chez les fumeurs, d’un discours globalement très négatif sur cette pratique.
  2. L’histoire de la recherche pour « fumer plus sainement » et pour trouver des alternatives à la combustion du tabac. Depuis plusieurs décennies, les industriels du tabac, mais aussi des particuliers ou des médecins, dans différents pays, ont entrepris d’inventer des dispositifs permettant de diminuer ou de supprimer les aspects nocifs de la consommation de cigarette.

Principaux résultats

D’abord et avant tout une question de santé : le tabac en disgrâce

Les motivations qui ont conduit les personnes interrogées à s’intéresser à la cigarette électronique sont d’abord et avant tout liées à des préoccupations pour leur santé. Il ressort de l’ensemble des témoignages, tous profils confondus, un grand intérêt pour une façon de fumer « plus saine », « sans les inconvénients », qu’il s’agisse des désagréments quotidiens (mauvaise odeur, mauvaise haleine, brunissement des doigts et des dents, gêne pour les non fumeurs, toux et maux de tête…) ou des risques sanitaires plus sérieux désormais parfaitement connus de tous les fumeurs (cancers et pathologies lourdes).

Même chez les « gros fumeurs », le tabac est en disgrâce. La cigarette électronique, face à ce tableau, c’est d’abord la perspective de continuer à fumer, mais plus sainement. La toxicité avérée du tabac fumé et la marginalisation progressive de cette pratique rendent d’autant plus attractif ce dispositif.

Quatre postures au moment d’expérimenter la cigarette électronique

Tous n’avaient pas le même projet au moment d’essayer la cigarette électronique. Nous distinguons quatre postures :

  • la cigarette électronique est identifiée comme un produit de substitution. Ici, il s’agit clairement de troquer une dépendance contre une autre perçue comme infiniment moins dangereuse, plus pratique, plus acceptable. L’objectif est de continuer à fumer, mais « plus sainement » ;
  • la cigarette électronique est envisagée comme un outil de sevrage tabagique. Ici l’utilisateur vise l’abstinence : il s’agit d’arrêter le tabac en le remplaçant temporairement par la cigarette électronique, vouée elle aussi à être abandonnée. Pour certains qui ont réussi le sevrage, elle est aussi utilisée occasionnellement pour ne pas rechuter. Pour d’autres, ce projet n’aboutit pas et la cigarette électronique est abandonnée ;
  • la cigarette électronique est considérée comme un moyen de réduire ou de contrôler la consommation de tabac. L’objectif ici est d’alterner cigarette de tabac et cigarette électronique dans une même journée et/ou dans une même semaine, sans désir de mettre un terme à la consommation de tabac ;
  • guidé par la curiosité, l’utilisateur arrête de fumer « par inadvertance ». Certains fumeurs n’ont jamais eu l’intention déclarée d’arrêter le tabac et se sont intéressés à la cigarette électronique avant tout par curiosité pour un phénomène nouveau se déroulant sous leurs yeux. Les témoignages sont récurrents : l’utilisateur semble arrêter le tabac « à son insu ». Il est lui-même surpris de la disparition très rapide de l’envie de fumer, une envie qu’il croyait jusqu’ici incontrôlable : « ça s’est fait naturellement », « ça n’a pas été une décision d’arrêter de fumer ». Dans un second temps, les trajectoires évoluent de façon parfois radicalement opposée : si Christine n’a plus touché une cigarette de tabac depuis 3 ans, Tristan a vu sa consommation augmenter après l’abandon de la cigarette électronique.

Un outil de sevrage tabagique ?

Les expériences des utilisateurs que nous avons rencontrés se répartissent selon trois scénarios :

  1. l’abandon du tabac
    11 personnes sur 23 ont réussi leur sevrage tabagique : ils ne fument plus ou très exceptionnellement. Nous incluons dans ce comptage Virginie, qui était sevrée du tabac avant d’essayer la cigarette électronique mais lui attribue le maintien de son abstinence.
  2. le maintien d’un usage mixte
    Six personnes sur 23 continuent de fumer du tabac tout en ayant recours à la cigarette électronique au moment de l’entretien. Dans cette catégorie de « vapo-fumeurs » [ou : fumo-vapoteurs], on recense cependant des pratiques et des motivations très différentes. Certains fument et vapotent au cours d’une même journée, d’autres ne fument une cigarette que très occasionnellement environ une fois par semaine (mais cette consommation de tabac est irrégulière et souvent liée au contexte), d’autres enfin vapotent pendant plusieurs mois puis « rechutent » et alternent ainsi au cours d’une même année cigarette électronique et cigarette classique, sans jamais utiliser les deux en même temps.
  3. l’abandon de la cigarette électronique
    Six personnes sur 23 avaient repris le tabac et abandonné la cigarette électronique au moment de l’entretien. 4 d’entre elles ont moins de 26 ans et n’ont fait qu’expérimenter le dispositif « par curiosité ». Pour Tristan (53 ans) et Nathalie (40 ans) en revanche, la cigarette électronique s’est avéré un échec. Tristan abandonne au bout de 18 mois, Nathalie au bout de 3 mois. Ils constatent tous deux que leur consommation de tabac a augmenté après l’arrêt de la cigarette électronique.

Une image négative des substituts nicotiniques classiques

On note un discours globalement critique et une attitude sceptique à l’égard des substituts nicotiniques classiques. A la lecture des témoignages il apparaît évident que ces derniers sont associés à une image négative contrairement à l’attraction et l’intérêt que suscite la cigarette électronique.

Un sevrage « sans effort »

Quel que soit le rapport au tabac, tous les témoignages décrivent un sevrage tabagique ou une diminution conséquente de la consommation largement facilités par la cigarette électronique. Là où les tentatives précédentes sont marquées par l’effort, l’échec et les désagréments, la cigarette électronique apparaît pour beaucoup dans un premier temps comme un outil « miraculeux ». Plusieurs personnes interrogées rapportent qu’elles ont arrêté de fumer presque sans s’en rendre compte : « je me suis aperçue que je ne fumais plus » dit Christine.

Cinq des 24 personnes interrogées vapotent des e-liquides sans nicotine et deux vapotent à 3 mg/ml, qui s’avère proche d’un effet placebo. La majorité se situe entre 6 et 12 mg/ml. La diminution du taux de nicotine n’est pas toujours un projet car la dépendance à ce psychotrope n’est pas considérée comme un problème : « le problème dans la cigarette c’est le goudron, pas la nicotine » est un discours récurrent. Pour les utilisateurs qui planifient et organisent cette diminution progressive, par paliers, elle semble se dérouler sans difficulté. Notons cependant que l’incertitude demeure sur la composition de ces e-liquides.

Adopter une nouvelle pratique

Pour celles des personnes interrogées qui ont essayé d’arrêter de fumer avant l’apparition de la cigarette électronique, toutes les tentatives se sont soldées par des échecs. De ces expériences elles ne gardent en mémoire que les aspects négatifs :

  • baisse de l’estime de soi,
  • prise de poids,
  • mauvaise humeur,
  • sensation de mal-être,
  • impressions de fournir des efforts démesurés pour « tenir ».

Au parcours du combattant que tout fumeur souhaitant arrêter anticipe ou endure, s’oppose le plaisir lié à l’expérimentation d’une nouvelle pratique. La cigarette électronique place l’utilisateur dans une posture totalement opposée à celle adoptée lors d’un sevrage : il ne s’agit pas d’arrêter quelque chose que l’on aime mais de commencer quelque chose, de découvrir de nouvelles sensations. De plus, le nouvel utilisateur se place en posture d’apprenant (position valorisante) et est amené à s’interroger sur les mécanismes de l’addiction au tabac, démarche souvent inexistante dans sa vie de fumeur. Ces éléments semblent jouer un rôle primordial dans la réussite du processus de sevrage.

Parmi les éléments positifs associés au passage à la cigarette électronique apparaissent également :

  • la sensation d’une dépendance moins forte, plus acceptable ;
  • plusieurs des personnes rencontrées parlent d’un vrai dégoût à l’égard du tabac, qui leur devient insupportable (ils semblent en être les premiers surpris) ;
  • une estime de soi renforcée par cette prise de distance avec le tabac et la disparition du sentiment de culpabilité lié à sa consommation.

Une porte d’entrée vers le tabagisme ?

Aucun élément dans les témoignages que nous avons recueillis ne peut laisser penser que la cigarette électronique pourrait être une « porte d’entrée vers le tabac » pour les plus jeunes utilisateurs.

Des usagers livrés à eux-mêmes

Il semble que les échecs (de sevrage ou de diminution) résultent fréquemment d’un manque d’information, de l’absence de « mode d’emploi » de ce dispositif. Il ressort de l’ensemble des entretiens que les utilisateurs de cigarette électronique, déroutés par les informations contradictoires et l’absence de données fiables, se sentent véritablement livrés à eux-mêmes.

La position réservée des autorités sanitaires alors que le phénomène a connu une expansion fulgurante, que le secteur se professionnalise (organismes de formation pour les vendeurs…) et se mobilise (associations d’usagers, syndicats de fabricants…), est mal perçue par les utilisateurs rencontrés : le message est incompris ou inaudible. Nicolas résume assez bien ce qui transparaît dans tous les entretiens, sans exception : « officiellement j’ai l’impression que c’est un peu le néant ». Les personnes interrogées peinent à comprendre les logiques institutionnelles et le fait que les autorités sanitaires en charge de lutter contre le « fléau du tabac », peuvent ne pas soutenir davantage un dispositif dont ils constatent presque tous l’efficacité sur eux-mêmes ou sur des proches.

Conclusion

Notre étude contribue à l’observation et à la compréhension d’un phénomène naissant, susceptible de changer durablement notre rapport au tabac. Elle montre la grande variété des profils, parmi les fumeurs, intéressés par la cigarette électronique. Hommes, femmes, jeunes ou anciens fumeurs, adoptent des postures différentes au moment d’essayer ce dispositif et les usages évoluent dans les mois qui suivent cette expérimentation. De ces premières observations, on peut retenir que pour certain fumeurs la cigarette électronique semble bien représenter un moyen inédit de sortie du tabagisme. Son potentiel comme outil de sevrage du tabac ou de réduction des risques semble encore peu exploité. Par ailleurs, nous n’avons relevé aucun élément permettant de confirmer l’hypothèse des pouvoirs publics concernant un « effet passerelle » (dispositif qui conduirait vers le tabac), plus particulièrement chez les jeunes utilisateurs.

Les témoignages recueillis mettent en exergue des attentes fortes de la part des fumeurs et utilisateurs de la cigarette électronique en termes d’information « officielle » (émanant de leur médecin ou de l’État) sur l’innocuité/les dangers du dispositif et d’accompagnement dans ses modalités d’utilisation.

Parallèlement à ces attentes, on constate une forte incompréhension du message institutionnel qui paraît trouble et double et/ou une méconnaissance des logiques institutionnelles. Ce en dépit des campagnes de prévention menées contre le tabagisme.

Pour conclure, le fait que les connaissances scientifiques ne soient pas stabilisées dans ce domaine et que les acteurs – nombreux – impliqués dans la diffusion et la gestion de cet outil, poursuivent des logiques différentes voire opposées, font de ce phénomène une controverse sociotechnique encore difficile à appréhender. Il devrait donc faire l’objet d’une attention particulière, visant à produire des connaissances actualisées, par le biais notamment des méthodes qualitatives.

Référence

  1. Fontaine A., Laugier S., Artigas F. (2016), Étude qualitative auprès des utilisateurs de cigarette électronique (pratiques, usages, représentations)
    association LRSH, avec le soutien de la Direction Générale de la Santé

 

Source : Unairneuf.org

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A propos de l'auteur

Rédactrice et correspondante Suisse. Vapoteuse depuis de nombreuses années, je m'occupe principalement de l'actualité suisse.