Nicotine sans combustion : la stratégie suédoise décryptée

Nicotine sans combustion : la stratégie suédoise décryptée

Vaxholm, Suède — Pour Karl Fagerström, chercheur suédois aujourd’hui à la retraite, la solution pour sortir du tabagisme est évidente : il faut offrir des alternatives plus sûres. En 2000, il fonde Niconovum, une entreprise pharmaceutique pionnière dans les sachets de nicotine sans tabac, inspirés des substituts comme les patchs ou les gommes.

Son objectif était clair : proposer un outil plus efficace pour arrêter de fumer. L’entreprise fut par la suite cédée à Reynolds American, elle-même absorbée par British American Tobacco en 2017.

Si l’Union européenne a d’abord soutenu les cigarettes électroniques comme aide au sevrage, les sachets de nicotine sont devenus un produit de consommation courante. Toutefois, l’intérêt des autorités sanitaires pour ces alternatives s’est essoufflé, pendant que l’industrie du tabac s’en emparait largement, aux États-Unis notamment, là où les sachets et le snus coexistent sur le marché.

Selon Fagerström, les réticences envers la réduction des risques s’expliquent par la méfiance historique envers l’industrie du tabac, qui a racheté les petites entreprises pionnières du secteur. Pour lui, interdire ou diaboliser l’usage de nicotine, à l’image des échecs de la prohibition de l’alcool ou des drogues, est voué à l’échec. Il plaide pour une reconnaissance pragmatique : la consommation de nicotine perdurera, autant la canaliser vers des formes moins nocives.

La voie suédoise : même consommation, moins de morts

Patrik Hildingsson, vice-président de la communication chez Swedish Match (groupe Philip Morris International), souligne que la Suède consomme autant de nicotine que d’autres pays, mais préfère les produits oraux, ce qui réduit les décès liés au tabagisme. « Nous utilisons autant de nicotine, mais nous ne mourons pas autant à cause d’elle », affirme-t-il. Le tabac fumé, principal responsable des décès liés au tabac, y est très limité dans les lieux publics.

Cependant, certains acteurs de santé publique continuent de se montrer réservés. Ils rappellent les antécédents de l’industrie, comme la condamnation en 2006 des majors du tabac pour désinformation sur les risques sanitaires. Niclas Malmberg, ancien député et membre du think tank Tobaksfakta, estime que l’industrie a changé de stratégie après avoir perdu la bataille sur la cigarette.

Substituts : des pistes encore controversées

Pour les partisans de la réduction des risques, mieux informer le public sur ces alternatives pourrait permettre un basculement progressif hors de la cigarette classique. Certains professionnels doutent même de l’efficacité à long terme des gommes ou patchs nicotiniques.

Le snus, produit culturellement ancré en Suède, bénéficie d’une documentation scientifique fournie. Les sachets de nicotine, plus récents, sont encore peu étudiés et souvent confondus avec le snus dans les analyses. L’agence de santé publique suédoise, Folkhälsomyndigheten, reconnaît un lien statistique entre usage de snus et moindre tabagisme, mais appelle à plus de recherches, tout en souhaitant recentrer les politiques de prévention sur la nicotine.

Des parcours individuels convaincants

Bengt et Daniel Wiberg, père et fils ex-fumeurs, dirigent Stingfree AB, une entreprise commercialisant des sachets de nicotine protégeant les gencives. Bengt, ancien utilisateur combiné de cigarettes et de snus, a cessé de fumer en 1991. Mais les produits oraux lui ont causé des irritations buccales, liées à l’augmentation du pH nécessaire à l’absorption de la nicotine. Il a alors imaginé un dispositif de protection interne au sachet, réduisant les douleurs.

Daniel, son fils, prédit que dans quelques années, les dentistes américains auront, eux aussi, des patients utilisateurs de sachets. Toutefois, les Wiberg déplorent le coût élevé de l’autorisation FDA : jusqu’à 1,5 million de dollars par produit.

Vers une ouverture réglementaire ?

Le marché américain reste extrêmement réglementé, bien que certains signes d’ouverture apparaissent. Le vice-président de PMI, Matt Holman, ancien cadre de la FDA, suggère que le Congrès fixe des objectifs de performance à l’agence pour réduire les délais de validation.

Récemment, la FDA a lancé une consultation publique sur les autorisations à risque réduit concernant 20 sachets Zyn. Ce retard accumulé inquiète certains parlementaires américains, à l’image du Tobacco Harm Reduction Caucus, qui critique l’inaction de l’agence.

Mais la méfiance persiste. Henry Waxman, ancien représentant, estime que promouvoir des produits addictifs reste un non-sens, même si moins nocifs que la cigarette.

Une transition loin d’être universelle

Sur le terrain, tout le monde n’est pas convaincu. Jafar Sala, chauffeur de taxi à Stockholm, continue à fumer un paquet de Winstons par jour et rejette les alternatives orales. Il a commencé lors de son service militaire et ne compte pas changer.

Malgré les restrictions croissantes, les cigarettes restent visibles dans les villes suédoises. Le chemin vers une réduction des risques tabagiques universelle reste semé d’obstacles, entre enjeux réglementaires, méfiance historique et diversité des profils de consommateurs.

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A propos de l'auteur

Rédactrice et correspondante Suisse. Vapoteuse depuis de nombreuses années, je m'occupe principalement de l'actualité suisse.